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C’était une pomme de mon jardin.
Bonjour ’nal !
Aujourd’hui j’ai envie de te parler de ce qu’il se passe au delà de la fenêtre. Non, pas celle que t’affiche ton écran, plutôt celle qui est dans le mur. Faite de verre et de bois, ou d’aluminium, ou de PVC, elle marque une séparation avec cet univers mystérieux connu sous le nom d’extérieur. Viens, je t’emmène dans mon jardin.
L’apprenti jardinier
Assez rapidement après nous être installés dans notre logement actuel, ma compagne et moi-même avons planté quelques arbres fruitiers : un cerisier, deux pommiers et un poirier. En plus des pruniers et du… euh… ahem, nectarinier… déjà sur place il y a de quoi se faire une belle salade de fruits.
Ah quel plaisir de se nourrir de sa propre terre, n’est-ce pas ? Quel sentiment d’autonomie, de liberté ; et quel pied de nez à l’industrialisation et au grand capital ! Après ça il ne reste plus qu’à cultiver des légumes, avoir quelques poules et autres animaux, produire de l’électricité, trouver de l’eau potable, assainir les eaux usées, miner des métaux, forger des outils, tisser des vêtements, etc. et hop, c’est l’autonomie complète ! Tranquille.
Bon ça dérive déjà. Revenons-en aux pommes, puisque c’est le sujet de ce journal.
Madame voulait des [[Pink Lady]]. Pas de chance, il s’agit d’une variété protégée de chez protégée, donc introuvable en pépinière. Du coup nous avons pris de l’[[Elstar]]\ (ou Gala, je ne sais plus) ; c’est rouge, c’est bon, et il suffit d’y coller un petit papier « Punk Lady » pour faire illusion. Pour le second pommier c’est de la [[Golden Delicious]] ; la pomme de base quoi.
Nous avons pris les versions palissées (tu sais, l’arbre qui ressemble à une fourche) parce que c’est pas trop encombrant et que ça avait bien fonctionné chez mes parents. Tu mets ça le long d’un mur ensoleillé et c’est bon. Si tu veux faire dans le détail tu peux planifier avec OpenJardin — on en parle ici — ou Garden Party — on en parle là. Perso j’aménage plutôt le jardin au feeling, quitte à déplacer quelques petites plantes de temps en temps. Et puis si je vais au jardin c’est aussi un peu pour lâcher l’écran :)
Quand c’est enfin planté : profit. Profit ? Allez, dis-moi que ça va être simple…
Là ça a l’air de bien se passer.
Les insectes sont nos amis
Le paradoxe du jardinage : si tu veux manger des fruits de ton jardin, tu vas devoir lutter contre la nature. Perso j’ai deux soucis : les vers et les pucerons.
J’ai bien effectué quelques recherche sur le web pour trouver une solution mais malheureusement quand il s’agit de jardin Google ne remonte que de la daube : sites de SEO, magazines conso, recettes de grand-mère (mélangez deux once de bicarbonate de soude et une demie-fiole de nectar d’orties, puis versez la mixture au pied des arbres, de préférence avant la saint Romélise pour une efficacité optimale !!). C’est laborieux. Mais il est où le StackOverflow du jardin ?
Pour les vers, je n’ai pas encore de solution. En attendant, pas moyen de croquer aveuglément dans une pomme ou une prune, il y a une chance sur deux pour qu’il y ait un vers dégoûtant dedans. Le pire c’est qu’il ne le sait même pas, lui, qu’il est dégoûtant.
Pour les pucerons, je crois que je commence à gérer. Vois-tu, vers le mois d’avril ces insectes commencent à coloniser les plantes. Ils débarquent sous la forme de petits moucherons (un petit point noir avec des ailes) puis perdent leurs ailes et se reproduisent. Niveau occupation de l’espace, ça commence chez moi par les bourgeons des rosiers, puis les fruitiers, puis des arbustes quelconques (des feuillers ou des fleuriers), et enfin sur les lauriers.
Là où tu vois que la nature est bien faite c’est qu’ils adoptent une couleur semblable à leur support, ce qui les rend bien discrets (sauf sur les feuilles de laurier, où ils font du jaune. Va savoir pourquoi). En plus ils ont tendance à se mettre sous la feuille, qui parfois s’enroule sur elle-même. Une fois qu’ils sont là, c’est difficile de les déloger. Ils consomment alors la sève dans la feuille, se multiplient exponentiellement, jusqu’à couvrir toutes les feuilles de l’arbre. Ce dernier s’épuise alors, ses feuilles ne lui donnant plus d’énergie. Il fait alors la tête, les fruits sont tout petits, tombent trop tôt, et je meurs de faim.
Des feuilles enroulées par l’attaque des pucerons.
Des pucerons bien planqués dans une feuille, avec quelques-un en version moucheron.
Bref, le puceron est un parasite qui se comporte un peu comme cet autre animal là, tu sais, celui qui use toutes les ressources de son environnement et se reproduit pour tout envahir. Mais si ! Rhâââ ça va me revenir.
L’ennemi de mon ennemi est mon ami
Le principal prédateur des pucerons est la coccinelle. C’est sympa une coccinelle, c’est tout mimi, et ça se goinfre d’une centaine de pucerons par jour. Enfin ça c’est quand elles peuvent accéder à leur repas sans se faire tabasser par les fourmis.
Une larve de coccinelle au boulot dans les feuilles bousillées d’un prunier, avec une coccinelle cachée.
Et oui, les fourmis protègent les pucerons. Elles en font même une sorte d’élevage. En gros elles les mastur tripotent stimulent afin qu’ils produisent du miellat. Je trouve ça un peu fou perso, et aussi bizarrement humain. Imagine, t’es un puceron, tu débarque avec ta famille sur une terre vierge (une feuille), tu commences à récolter de la bouffe (le miellat) pour te nourrir, et soudain il y a quelqu’un qui ressemble à rien de ce que tu connais, qui débarque et te transforme en esclave, te faisant trimer pour ensuite te piquer tes récoltes… Non mais oh, si tu veux du miellat tu te le récoltes tout seul chez toi hé !
La lutte
Bon c’est pas tout mais j’aimerais bien manger mes fruits moi. Ces dernières années je commandais des larves de coccinelles à un spécialiste pour qu’elles nettoient mes plantes, mais évidemment ça ne fonctionnait pas bien puisqu’elles se faisaient briser la mâchoire par les fourmis. Du coup cette année j’ai changé de tactique (et puis je trouvais ça un peu con de faire livrer des insectes qui sont déjà présent dans l’environnement).
Le but du jeu est d’éviter que les fourmis ne trouvent les pucerons, en espérant qu’ainsi les coccinelles pourront faire leur taf'.
Moult larves qui libèrent les feuilles.
Pendant le mois d’avril, je ne vois pas beaucoup de coccinelles, alors je fais le gros du boulot : je fais le tour des plantes avec mon jet d’eau ou du savon noir, et je dégage les premiers pucerons. Au passage je repère les trajets des fourmis.
Ensuite je bloque ces dernières en essayant de couper les chemins qui vont du sol aux feuilles, par exemple en coupant les branches qui touchent les murs. Comme je ne peux pas couper le tronc (ça serait contre-productif) j’y mets de la glu arboricole. C’est une sorte de pâte collante à étaler sur quelques centimètres autour du tronc pour faire iéch les insectes qui essayent de monter. Celle que je prends est de la glu Pelton en pot et s’étale à la spatule pour bien combler les trous dans l’écorce.
Après cela j’attends que les coccinelles arrivent et j’enlève encore quelques pucerons si ça se propage trop. Par contre dès que je vois des œufs ou des larves de coccinelles, je n’y touche plus.
Si malgré tout cela des fourmis continuent à se pointer, genre elles n’ont pas compris qu’elles n’étaient pas les bienvenues, je passe à l’attaque en mettant quelques pièges près des fourmilières.
Ces pièges sont de petites boites en plastique contenant un produit toxique pour les fourmis mais présenté comme quelque-chose de plaisant pour elles. Quand une fourmi tombe dessus, elle s’émerveille : « trop bien la réserve de bouffe que je viens de trouver, il faut absolument que je prévienne les autres ! » Elle en prend un échantillon puis l’amène à la fourmilière. À peine passé le seuil, elle crie « Hé, vous tous ! Venez voir le tas de nourriture pas du tout douteux que j’ai trouvé juste à côté de l’entrée ! » Vaguement intriguées, quelques camarades l’accompagnent puis doivent se rendre à l’évidence. « Whoa ! Bien joué Régis, on va se régaler ! »
Et c’est ainsi que les fourmis amenèrent le poison dans la fourmilière. Toute la colonie s’en nourrit jusqu’à en mourir. Fin.
La récolte
Pfiou… Des milliers de pucerons et de fourmis décédées pour que je puisse avoir une cinquantaine de pommes ; quel bilan. Il ne faut pas être partisan de la cause animale si tu veux manger des fruits.
Si tout se passe bien, une fois les fourmis écartées les coccinelles se multiplient et éliminent les pucerons en quelques semaines. Ensuite il ne reste plus qu’à arroser les plantes deux fois : une fois pour chaque semaine sans pluie de nos étés actuels.
En fin d’été, il fait moche, les mauvaises herbes ont tout envahi, tout est sec, mais il y a des fruits.
Ce qui est bien cool avec les pommes c’est qu’elles peuvent rester longtemps sur l’arbre. Pas d’urgence à les cueillir, tu peux même te contenter de celles qui tombent toute seules en septembre.
Question thunes, économies et autres aspect financiers, disons qu’un arbre coûte une cinquantaine d’euros et produit environ 5 kg de pommes. À 2€ le kilo au supermarché, ça fait une rentabilité sur au moins cinq ans. Sans compter le temps et le matériel pour l’entretien, ni les années « sans » (par exemple, cette année nous n’avons que deux poires).
Comment manger des pommes
Si tu cherches des idées de recettes à base de pommes sur le web, tu vas tomber sur des sites moisis qui vont te demander d’accepter des cookies douteux pour ensuite te montrer une recette mal fichue dans laquelle tu devras défiler de haut en bas et de bas en haut en boucle avec tes doigts collants. Avec un peu de chance tu auras même une vidéo qui va se lancer en arrivant puis rester dans un coin.
J’ai entendu dire qu’un certain logiciel nommé Woob avait un module pour accéder à ces recettes sans l’enrobage de caca, peut-être que ça pourrait t’aider. Pour ma part, en cuisine comme au jardin, je préfère me passer d’écran.
Je vais donc te donner deux petites algorithmes recettes, simples, directes et précises. Pas de thermostat 7-8 chez moi ; c’est soit 7, soit 8. Je t’invite à les noter sur papier pour les garder dans ta cuisine.
La compote
Matos : un économe, un couteau, un mixeur, une casserole, 5 pommes, de la cannelle, de la vanille liquide, de l’eau.
- prends 5 pommes ;
- épluche chaque pomme ;
- coupe toutes les pommes en deux ;
- enlève le cœur des dix demies pommes ;
- coupe les dix demies pommes en dés ;
- balance tout ça dans une casserole ;
- mets 10 cl. d’eau dans un verre ;
- ajoute une cuiller à soupe de vanille liquide ;
- envoie ça dans la casserole ;
- ajoutes-y une pincée de cannelle ;
- fais chauffer à fond 20 minutes en remuant régulièrement ;
- mixe le résultat puis verse-le dans des pots hermétiques.
Attention dans les étapes 2 à 5, prends bien soin de faire toutes les pommes d’une traite à chaque étape et non pas de faire les quatre étapes sur chaque pomme individuellement. Tu économiseras ainsi du temps de changement de contexte (changement d’outil et d’opération) au prix de quelques allers-retours peu chers avec la mémoire cache (la planche à découper et le plan de travail).
Quoi qu’il arrive, n’ajoute surtout pas de sucre. Tu pourrais trouver dans le commerce de grandes marques de compote qui ajoutent du sucre. Ce sont des idiots, ne suis pas leur modèle.
La tarte normande
Matos : un économe, un couteau, un saladier, un fouet, un plat à tarte, un four, 3 pommes, 20 cl. de crème fraîche épaisse, de la cannelle, 100 g. de sucre, de la cassonade, une pâte feuilletée.
- étale la pâte feuilletée dans le plat ;
- prends 3 pommes ;
- épluche chaque pomme ;
- coupe toutes les pommes en deux ;
- enlève le cœur des six demies pommes ;
- coupe les six demies pommes en lamelles de 5 mm. d’épaisseur ;
- met le four à chauffer à 180°C ;
- met les lamelles dans le plat, sur trois couches ;
- attrape le saladier et jettes-y le contenu de 3 œufs, 100 g. de sucre, 20 cl. de crème fraîche et une pincée de cannelle ;
- fouette le contenu du saladier jusqu’à ce que ce soit homogène ;
- verse ça dans le plat ;
- saupoudre la tarte de cassonade ;
- met au four pendant 30 minutes.
- profite du temps de cuisson pour faire la vaisselle.
Comme pour la compote, prend bien soin de faire toutes les pommes d’un coup pour chaque étape de 2 à 6. Éventuellement si tu as plusieurs cœurs (des humains consentants) tu peux répartir ces étapes sur plusieurs threads.
La vie en dehors de l’informatique
Je suis parfois surpris de trouver des analogies avec le développement logiciel dans la vie de tous les jours.
Par exemple, quand je programme j’ai tendance à vouloir itérer rapidement : j’implémente un truc, je le teste, je l’évalue, je le modifie et je recommence. C’est assez rapide, et modifier du code ne coûte pas cher. Mais quand je teste des trucs au jardin, c’est juste impossible de faire ça rapidement. Chaque modification s’évalue sur plusieurs mois, voire une année. C’est comme si le process tournait sur un CPU monocœur à 30 nanohertz et ne pouvait être interrompu.
Un jour je te raconterai aussi la refacto de l’intérieur de ma maison. Là aussi il y a des similarités, mais le coût de la modification est incroyablement plus grand. Par exemple, si tu veux finalement ajouter une prise alors que t’as terminé la peinture, ça coûte un peu plus que de déplacer quelques lignes de code ici et là.
Et toi, manges-tu des fruits ? Cultives-tu ton jardin et pourquoi ? Vois-tu aussi des similarités entre tes interactions avec des logiciels et la vie en dehors de l’informatique, ou au contraire connais-tu des choses simples dans l’un mais compliquées dans l’autre ?